Cequi s'accorde mal avec la fluctuation des besoins sociaux, et les nécessités de l'évolution. Évidemment, seul un esprit prévenu pousserait l'explication jusqu'à s'interroger sur le non-dit qui sous-tend le raisonnement dans cette partie du texte, en l'occurrence une conférence écrite en 1935. Par exemple, en le rapprochant de la crise économique du début des années trente (avec Commenous vivons nous-mêmes dans un monde en proie à toutes les menaces et que, comme le disait si bien Valéry, "nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles Nousautres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. - Une citation de Paul Valéry. quiest toute la civilisation, nous a lanc6s dans une aventure, merveilleuse certes, mais dont il est difficile de pr6voir l'issue. Il y a mime tout lieu de croire, si l'on en juge par certains sympt6mes, que cette issue sera fAcheuse. L'essai tout entier est un cri d'alarme depuis la premibre phrase, devenue c6l6bre: "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes QCMde culture générale, qcm :CULTURE GÉNÉRALE - HISTOIRE, GÉOGRAPHIE, ART, LITTÉRATURE (concours PASS - 2008), question : Parmi les auteurs suivants, qui constate en 1919 : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » ? fGFlP. Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles. » L’équivocité de la réflexion de Paul Valéry, dans la Crise de l’esprit 1919, met à la fois en perspective le caractère vulnérable de cette civilisation qui se sait désormais aussi fragile qu’une vie », comme l’écrit l’auteur quelques lignes plus loin ; et sa force létale capable de porter la vie a des sommets de grandeur, la civilisation est également auréolée d’une puissance de destruction insoupçonnable jusqu’alors. Si cette sentence a pu marquer le XXe siècle et permettre d’interroger les totalitarismes qu’il a vu prospérer, elle semble s’appliquer avec plus de force encore à l’aube de ce troisième millénaire, qui voit, avec l’apparition du transhumanisme, se redessiner à une vitesse vertigineuse les contours de l’humanité à venir. De l’homme augmenté au posthumain, le transhumanisme revêt des visages multiples qui semblent cependant tous annoncer un bouleversement radical de la nature même de l’humanité et l’on oscille entre la fascination et l’effroi devant les scénarios de science-fiction qui nous sont présentés. Ce mouvement culturel et intellectuel affirme qu’il est possible et désirable d’améliorer fondamentalement la condition humaine en développant et diffusant largement les techniques visant à éliminer le vieillissement et à améliorer de manière significative les capacités intellectuelles, physiques et psychologies de l’être humain » 1. La transformation de l’homme, envisagée au niveau individuel, ou par la création d’un humain augmenté », qui constituerait une nouvelle espèce, une humanité + symbolisé H+ dans l’hybridation qui est faite de l’homme et de la machine, peut affecter différentes facultés de l’être humain capacités physiques ou cognitives, longévité ou immortalité. Si aucun irénisme ou aveuglement n’est permis face à de tels enjeux, tant dans les politiques de défense et de sécurité internationale que dans le recours aux techniques bio-médicales en vue de neuro-amélioration de la personne non malade », on peine cependant à démêler les faits des oracles de certaines pythies contemporaines. C’est la caractéristique première de la technologie, écrit Don DeLillo, d’un côté elle suscite un appétit d’immortalité, de l’autre elle provoque la peur de l’extinction universelle » 2. À la fragilité de la vie, à la vulnérabilité de l’existence qui apparaît avec tant de force après les ravages du XXe siècle ou en des temps de crise écologique que l’on nous présente comme sans précédent, le transhumanisme répond avec de mirifiques promesses de vie éternelle… mais il semble dans le même temps annoncer une aliénation radicale aux différentes technologies. La découverte de ce Nouveau Monde nous réservera-t-elle le même traitement qu’aux derniers natifs des terres conquises ? Pourtant défenseurs de la recherche et du progrès, Bill Gates ou Stephen Hawking s’inquiètent de l’avènement d’une superintelligence artificielle capable de pulvériser notre espèce. Si nous ne voulons pas être obsolètes dès la naissance, si nous voulons rester les êtres les plus évolués, nous faut-il devenir des robots nous aussi ? Période de rupture fondamentale, comment notre début de troisième millénaire sera-t-il jugé par la postérité ? Quelle forme prendra cette postérité et surtout, de quel jugement sera-t-elle capable ? Accro aux nouvelles technologies Il importe de distinguer au sein du discours proféré sur l’intelligence artificielle IA et sur l’évolution des nano et biotechnologies, les progrès scientifiques réels, de la prophétie que certains prêtres du techno-progressisme font passer pour imminente. De fait, l’irruption de l’intelligence artificielle dans nos vies n’est plus une option que l’on pourrait décocher, un interrupteur que l’on aurait encore le loisir d’éteindre…elle est devenue indispensable, nécessaire, elle prend forme de déterminisme. Tout le monde est accro aux nouvelles technologies sans forcément s’en rendre compte on regarde en moyenne 150 fois par jour son téléphone portable. Il existe d’ailleurs un droit élémentaire à la connexion comme il existe un droit à l’électricité. Les opérateurs ne peuvent arrêter brutalement la connexion d’un client insolvable, mais seulement réduire son débit, comme un fournisseur d’électricité doit en assurer une fourniture minimale. Chacun de nous informe et nourrit la pieuvre tentaculaire des GAFA Google, Apple, Facebook, Amazon et des BATX chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi, par l’ensemble des données que nous leur fournissons. Cependant on ne peut accorder un crédit absolu aux chantres de ce que l’on appelle l’ ère de la singularité » prise au sens large, cette expression désigne un avenir dans lequel l’intelligence des machines dépassera allègrement celle des humains qui les ont créées, actant définitivement la fusion entre la vie technologique et la vie biologique avec comme promesse ultime la résolution des problèmes humains les plus complexes ; cette déclaration radicale de techno-progressisme exerce une influence patente sur la culture de la Silicon Valley et ainsi sur l’imaginaire lié aux nouvelles technologies. Si ces scientifiques disposent de moyens humains et financiers exorbitants leur permettant de travailler activement au monde qu’ils appellent de leurs vœux, il semble cependant nécessaire de s’attacher à la chronologie afin de démêler le prophétique du scientifique. On peut, schématiquement, retenir quatre formes d’intelligence artificielle. C’est la partition que propose le Dr Laurent Alexandre dans La guerre des intelligences, intelligence artificielle versus intelligence humaine 3. De 1960 à 2010 apparaît une première forme d’IA lorsque les algorithmes sont programmés manuellement. C’est ce système que l’on trouve lorsqu’il s’agit par exemple de coder un site internet. À partir de 2012 apparaît le deep learning qui commence à dépasser l’homme sur des taches bien spécifiques, par exemple en reconnaissance visuelle. Il s’éduque plus qu’il ne se programme ce qui donne une force terrible aux GAFA et aux BATX. Selon Laurent Alexandre, il peut concurrencer un radiologue mais pas un généraliste. Il lui manque pour cela la mémoire et la transversalité, troisième forme d’intelligence qui émerge doucement mais ne sera opérationnelle que vers 2030. Celle-ci pourrait se faire passer pour un homme, ce qui pose de redoutables problèmes de sécurité. La quatrième forme de l’intelligence artificielle n’est en revanche pas encore apparue elle est celle de tous les scénarios de science-fiction. Elle serait l’apparition d’une conscience artificielle, IA dite forte, c’est-à-dire capable de conscience de soi et de sentiments. La date de son émergence est l’objet de querelles irrationnelles et messianiques chez les spécialistes. Aujourd’hui, écrit Laurent Alexandre, l’IA ressemble encore à un autiste atteint d’une forme grave d’Asperger qui peut apprendre le bottin téléphonique par cœur ou faire des calculs prodigieux de tête mais est incapable de préparer un café. » On peut donc s’interroger sur la performativité de telles prophéties les ordinateurs deviendront-ils un jour des êtres conscients ou ne seront-ils jamais que des calculateurs sophistiqués incapables de toute émotion ? L’incohérence fondamentale et pourtant élémentaire qui semble cantonner ce scénario à un horizon dont on s’approche sans jamais l’atteindre est l’idée selon laquelle le vivant pourrait être compris à l’aide d’un modèle mécanique. C’est un paradigme technicien qui préside à la réflexion transhumaniste. Pour que l’esprit puisse être téléchargeable dans une machine, encore faudrait-il qu’il soit matériel. Cette idéologie présuppose que l’on puisse réduire l’homme à ses données biologiques et que l’on puisse réduire le vivant à l’information qui le structure puisqu’un code génétique est à l’origine du vivant, il doit être possible d’en établir un codage informatique. De l’ADN aux données informatiques il n’y a donc qu’un pas. Ainsi, Ray Kurzweil, fervent zélateur du transhumanisme, écrit que nos corps biologiques version sont fragiles et sujets à quantité de dysfonctionnements, sans mentionner les laborieux rituels de maintenance qu’ils requièrent ». L’ordinateur n’est pas compris par anthropomorphisme mais c’est l’homme auquel on applique un vocabulaire informatique. Cette conception mécaniciste du système se fonde sur une permanente quête d’amélioration du processus et procède donc d’une logique de l’artefact qui ignore que nous serons toujours devant le vivant comme devant un mystère, condamnés à nous répandre en hypothèses sur sa constitution sans maîtriser les complexités d’une totalité qui ne peut se réduire à la somme de ses parties. Mieux masquer nos asservissements Si les idées de créer une conscience artificielle ou d’abolir la mort sont bien lointaines, sans doute participent-elles de cette sidération médusée devant les pythies du transhumanisme qui nous fait oublier l’aliénation quotidienne qui est la nôtre. Le transhumanisme nous promet des lendemains qui chantent pour mieux masquer nos réveils entre smartphone et ordinateur. De fait, c’est un véritable asservissement à la machine qui s’orchestre sous prétexte de permettre notre libération des lois de la nature. Nous sommes désorientés dans un monde où le GPS pense à notre place, incapables d’écrire français pour avoir trop usé de la correction orthographique et les femmes congèlent leurs ovocytes pour être rentables plus longtemps… Le transhumanisme ne cesse d’en appeler à l’imaginaire de la souveraineté individuelle mais ne laisse présager qu’une radicalisation de l’aliénation », écrit Olivier Rey dans Leurre et Malheurs du transhumanisme 4. Pire, sans doute le transhumanisme n’est-il pas un progrès mais la solution d’un problème dû à la technique demain des robots de Calico, complexe de biotechnologies appartenant à Google, permettront de lutter contre les formes autistiques dues à l’usage abusif des NTIC 5 des jeunes japonais en leur tenant compagnie. C’est le sens des cyborgs cybernétic organism qui ont pour but de modifier les fonctions corporelles de l’homme pour répondre aux exigences des environnements extraterrestres ». L’homme augmenté n’est que le produit d’un monde ravagé c’est la situation diminuée de l’homme contemporain qui rend alléchantes les perspectives transhumanistes. Heidegger le prédisait, on ne guérit de la technique que par la technique. Olivier Rey met en exergue les trois stratégies employées afin d’imposer le transhumanisme on commence par faire danser devant vos yeux les promesses d’un transhumanisme messianique demain, la mort sera abolie et votre corps invulnérable. La deuxième stratégie est la banalisation si vous refusez le transhumanisme, alors ne portez plus de lunettes, d’oreillettes ni de prothèses, n’utilisez plus rien qui transforme votre rapport au monde par l’artifice. Enfin on vous impose la fatalité Vous êtes embarqués », on ne peut refuser l’inéluctable marche du progrès. Olivier Rey montre néanmoins que plus le monde va mal, plus il faut abreuver les populations de promesses époustouflantes Les promesses transhumanistes ne sont pas destinées à se réaliser. Mieux vaut donc ne pas perdre son temps à s’émerveiller ou s’épouvanter du futur qu’elles dessinent. Leur véritable nocivité est ailleurs elle réside dans leur faculté à captiver l’esprit, à le divertir de ce dont il devrait se soucier. Pour faire face à ce qui nous attend, l’urgence serait de diminuer notre dépendance à la technologie » 6. Présenté comme le choix par lequel on surpasserait une nature limitée pour se faire créateur affranchi des servitudes biologiques, le transhumanisme prétend cependant être une fatalité. C’est du moins sur cet apparent déterminisme que se fonde l’aspect messianique de cette idéologie. À bien des égards le transhumanisme s’inscrit dans la droite ligne des matérialismes historiques et biologiques qui ont présidé aux idéologies du XXe siècle. Ainsi la réduction matérialiste s’accomplit par cette double réduction de toute spiritualité à de la matière et de toute matière à de l’information. Tout n’est que Data et ce Data nous gouverne. Voilà sur quel paradigme mécaniciste elle se fonde chez Marvin Minsky, pour qui le cerveau se résume à une machine de viande ». Si l’on envisage la machine comme un dispositif conçu pour accomplir une tâche de manière optimale, alors le but notre cerveau en tant que machine de viande » est d’accroître au maximum nos capacités cognitives. Améliorer notre potentiel computationnel serait notre devoir, ou du moins notre raison d’être, impliquant de tout mettre en œuvre pour fonctionner le plus longtemps et le plus efficacement possible. L’ex-Union soviétique voit donc ses fantasmagories prolongées par le geste transhumain. Il ne s’agit plus de prendre un corps blessé et de le guérir mais d’en faire un surhomme. Cet homme futur, que les savants produiront, nous disent-ils, en un siècle, pas davantage, paraît en proie à la révolte contre l’existence humaine telle qu’elle est donnée, cadeau venu de nulle part laïquement parlant et qu’il veut pour ainsi dire échanger contre un ouvrage de ses propres mains. » Ainsi s’exprime Hannah Arendt dans la Condition de l’homme moderne 1958. Le transhumanisme découle en effet d’une rébellion contre la nature humaine, finie, limitée, pulsionnelle. Il procède ainsi du même mouvement que le collectif LGBTQI ou la logique antispéciste. Redéfinissant les limites de l’humain, il dessine le visage d’une post-humanité qui s’avère plutôt être une inhumanité. Immergés dans le Styx afin d’être rendus invulnérables, c’est sans doute dans ce refus de la vulnérabilité que réside le talon d’Achille des transhumanistes. Lorsque l’on sait combien l’intelligence émotionnelle des enfants ayant grandi en présence d’une personne handicapée peut se développer, il semble fondamental de préserver ce qui fait le propre de notre humanité. La vulnérabilité de notre incarnation est la condition du prix de l’existence. Face à cette idéologie de la virtualisation apparaît urgente la contemplation de la Présence Réelle… qui seule triomphe de la mort. Maylis de Bonnières 1 The Transhumanist Declaration. 2 Bruit de fond, Stock, 1986 rééd. Actes Sud, 2001. 3 JC Lattès, 2017. 4 Desclée de Brouwer, 2018. 5 Nouvelles technologies de l’information et de la communication. 6 Ibid. © LA NEF n°312 Mars 2019 FIGAROVOX/ANALYSE - Califat, élection d'Erdogan en Turquie, conflit israélo-palestinien, les crises se multiplient au Moyen-Orient. La prophétie de Samuel Huntington serait-elle en train de se réaliser ? Le décryptage de Frédéric Saint Clair, ancien conseiller de Dominique de Saint Clair est mathématicien et économiste de formation. Il a été chargé de Mission auprès du Premier ministre Dominique de Villepin pour la communication politique 2005-2007. Il est aujourd'hui Consultant Free Victoires fulgurantes de l'Etat islamique d'Irak et du Levant EIIL, massacre des chrétiens d'Orient, élection triomphale d'Erdogan en Turquie, escalade meurtrière entre israéliens et palestiniens, sommes-nous finalement en train d'assister au fameux choc des civilisations que prédisait le très controversé Samuel Huntington dès 1996?Frédéric SAINT-CLAIR Un choc est par principe instantané. Mais que se passe-t-il avant? Et que se passe-t-il après? Est-ce que tous les évènements internationaux sont sensés participer de ce même choc? Une lecture de l'actualité internationale au travers du modèle développé par Huntington semble par trop statique. Il y a une dynamique des conflits qui lui échappe. En revanche, Samuel Huntington a mis en lumière un certain nombre de points cruciaux pour comprendre la période postérieure à la guerre froide, notamment l'émergence du culturel - et particulièrement du fait religieux - au sein des conflits, ainsi que la perte de vitesse du modèle occidental et de la notion de démocratie libérale. La vocation universaliste des droits de l'homme, le doux commerce» qui, selon Montesquieu, était vecteur de paix, ne portent pas en eux une évidence et une force suffisantes pour être universellement acceptés. Paul Valéry, en introduction de son célèbre texte, La crise de l'esprit, écrivait Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.» Aujourd'hui, des individus dépourvus de toute humanité instrumentalisent la religion afin de mettre un terme aux valeurs prônées par la civilisation occidentale, y compris les valeurs chrétiennes, et imposer leur barbarie. Des civilisations peuvent disparaître ainsi, dans l'horreur, la nôtre également, et l'histoire en est témoin. Nous n'en sommes pas là ; en revanche, la question de la prééminence de ces valeurs est nettement engagée. Des civilisations peuvent disparaître ainsi, dans l'horreur, la nôtre également, et l'histoire en est témoin. Nous n'en sommes pas là. Dans une tribune publiée par le Monde, Dominique de Villepin explique, Ce n'est en rien un choc immémorial entre les civilisations, entre l'Islam et la chrétienté, ce n'est pas la dixième croisade … Non il s'agit d'un événement historique majeur et complexe, lié aux indépendances nationales, à la mondialisation et au Printemps arabe». Tous ces évènements ne sont-ils pas, malgré tout, liés par la montée de l'Islam radicale?Le choc n'est en effet pas immémorial, et il ne s'agit en rien d'une opposition entre l'islam et le christianisme. Il ne s'agit pas non plus d'une croisade, ou alors à l'envers, car en Irak, ce sont des musulmans qui tyrannisent les chrétiens sous prétexte d'imposer leur religion. Si Dominique de Villepin a raison de souligner la complexité de l'évènement, vous avez raison de souligner la dimension islamiste radicale qui est à sa base. Mais l'islamisme radical en tant qu'hypertrophie politico-religieuse n'explique pas tout. Pour comprendre ces évènements nous devons aller plus loin et interroger ce qui est à son fondement, ce sur quoi les intégristes s'appuient, c'est-à-dire la composante politique de l'islam. Malek Chebel écrit L'islam restera viscéralement attaché à une vision globale de l'existence, de sorte que la vie organique n'est jamais séparée de la vie spirituelle, ni la vie individuelle de la vie collective […] Enfin, l'islam a réponse à tout, du berceau à la tombe.» La dimension politique de l'existence collective est donc incluse intégralement dans, ou même préemptée par, la dimension religieuse qui a vocation à être totalisante. Au-delà de l'islamisme, qui est une dérive extrémiste qui doit être combattue, l'islam politique questionne déjà le modèle de la démocratie libérale occidentale. Nous le constatons sur le territoire français, où les revendications religieuses face au droit républicain se multiplient. Comment, dès lors, cette dimension pourrait-elle être absente des révolutions nationales telles que les printemps arabes» où de nouvelles structures politiques sont en train de naître, bien souvent dans la douleur? Avec beaucoup de patience et de tolérance, nous devons poursuivre et enrichir le dialogue entre démocratie libérale et revendiquée par EIIL fait passer la communauté des fidèles, avant l'attachement à la nation. Existe-t-il un risque de voir ces différentes crises se rejoindre? En quoi diffèrent-elles vraiment les unes des autres?Nous sommes là au cœur de la question théologico-politique liée à l'islam. L'Oumma pourrait, ou devrait, être considérée comme une communauté spirituelle, et elle ne saurait être perçue autrement dans la tradition mystique, mais, la tentation de lier pouvoir spirituel et pouvoir temporel - politique - affaiblit la notion de communauté religieuse et la rend susceptible d'être substituée à la nation démocratique. Le concept d' ecclésia» - de communauté ou d'église - a été soumis à la même tension, mais, par un cheminement long et complexe, cette tension a été apaisée en Occident. Elle demeure en revanche intacte dans les pays arabes et dans les différents types de conflits qui ont été évoqués, avec des particularités propres, et des intensités qu'au triomphe de Hungtington, assiste-t-on à la défaite de Francis Fukuyama qui pronostiquait la fin de l'Histoire? Loin d'avoir conduit à une homogénéisation croissante de toutes les sociétés humaines» la globalisation n'a-t-elle pas, au contraire, exacerbée les identités?Le modèle de Fukuyama a cristallisé en quelque sorte toutes les illusions nées de la Révolution Française et de la supériorité» occidentale du XIXème siècle. Il y a en effet une crise de l'identité. Celle-ci n'est pas nouvelle même si elle prend de nouvelles formes, d'où la nécessité d'éviter les modèles englobants et statiques. La globalisation a accéléré la chute du modèle occidental matérialiste. Malheureusement, les valeurs humanistes présentes à la base de ce modèle, telles que les droits de l'homme, la liberté, l'égalité, la fraternité, ont subi le même sort. La haine de l'Occident, qui grandit, amalgame toutes les composantes d'un modèle occidental multiforme fragilisé par notre incapacité à le remettre en question et à le renouveler. Il semble nécessaire de revenir aux fondamentaux de notre civilisation, et de les cultiver. Gandhi écrivait L'amour est la plus grande force au monde et, en même temps, la plus humble qu'on puisse imaginer.» Pour apaiser les tensions identitaires, au moins dans notre pays, c'est cela qu'il faut mettre en pratique. Notre tradition républicaine a beaucoup insisté sur la liberté et l'égalité et a oublié bien souvent la fraternité, qui, selon Pierre Leroux, était la condition de l'unité. Par exemple, les étrangers vivant sur le sol français, qu'ils soient juifs, musulmans, athées, ou autre, doivent être inclus dans cette fraternité républicaine, car c'est par là que notre attachement à nos valeurs s'exprime le mieux. Avec beaucoup de patience et de tolérance, nous devons poursuivre et enrichir le dialogue entre démocratie libérale et islam. Si l'histoire a montré que la France avait eu raison de s'opposer à l'intervention américaine en Irak en 2003, face au nouveau désordre mondial créé par celle-ci ainsi que face aux effets collatéraux des printemps arabes, faut-il désormais intervenir, notamment pour protéger les chrétiens d'Orient?Oui, il faut intervenir, car les conditions sont radicalement différentes. En 2003, Bush partait en guerre contre Sadam Hussein persuadé de trouver des têtes nucléaires enfouies dans le sol irakien, et de participer ainsi à la lutte contre le terrorisme. Aujourd'hui, nous sommes face à une oppression réelle, à des populations entières jetées le long des routes, dans des conditions terribles. Nous devons cependant rester vigilants face à la tentation guerrière. La reconstruction de la paix est l'unique objectif.Il faudra une génération au Moyen-Orient pour entrer dans sa propre modernité apaisée, mais d'ici là il est guetté par la tentation nihiliste, par le suicide civilisationnel. Nous sommes à la veille du moment décisif où la région basculera de l'un ou de l'autre côté.» Quel rôle les pays occidentaux pour éviter le basculement du mauvais côté?Nous pouvons parler de nihilisme» car c'est bien d'une négation des valeurs morales de l'Occident dont il s'agit. En revanche, la perspective d'une entrée dans une modernité apaisée à horizon d'une génération reste difficilement envisageable. C'est une société close qui se dessine dans cette région du monde, et le modèle occidental n'a que peu d'influence sur elle. Le soft power», pour employer un terme repris par Fukuyama, est devenu quasiment inopérant. L'aide aux populations défavorisées, l'aide humanitaire que la France va superviser en Irak - et dont nous devons être satisfaits -, participe du rôle que vous évoquez et qui peut être déterminant, notamment sur le chemin parfois long qui mène à la paix. Tribune libre de Pierre-François Ghisoni* Civilisations, nous sommes mortelles ! Reste à le » savoir comme le précisait Paul Valéry dans Variétés Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Et j’ose ajouter reste à savoir si nous ne sommes pas dans la dernière phase. Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne soit condamnée à périr. Cela va du moindre écrit comme celui-ci à la civilisation dans laquelle il s’insère. Et les exemples ne manquent pas dans le monde. Celui qui aurait prédit au soir du 15 novembre 1532 que l’empire inca disparaîtrait sous les coups de douze Espagnols aurait risqué sa vie. Le 16 au soir… un Inca le titre équivalent à empereur et le lendemain… un prisonnier qui paiera la plus grosse rançon de l’histoire et sera néanmoins exécuté. On pourrait multiplier les exemples. Byzance, son empire et sa civilisation tombèrent en 1453 au milieu de querelles byzantines ». Vraie ou arrangée, nous est restée celle portant sur le sexe des anges ». Alors, la France de 2013 ? Comment ne pas être frappé des similitudes internes avec les dernières élucubrations de cette minorité de minorité et de ce gouvernement, dont on ne sait plus qui supporte l’autre, qui est la corde, qui est le pendu ? Comment ne pas être frappé des similitudes externes au moment où aujourd’hui, le même gouvernement relance la question du droit de vote des étrangers, alors qu’il subit et abandonne les zones de non-droit à une nouvelle féodalité barbare ? Oui, les civilisations meurent. Elles meurent par la concomitance de fêlures internes et externes qui en atteignent les œuvres vives, maquillées par un hideux replâtrage. Elles meurent à cause des mannequins tonitruants aux pieds d’argile. Elles laissent des traces, et d’autres les remplacent. Elles meurent, soit parce qu’elles ont fait leur temps, soit parce qu’on n’a pas voulu traiter quand cela était encore possible. Une civilisation à visage humain Elisabeth Kübler-Ross, dont les travaux font autorité, dégage cinq stades successifs lorsqu’un diagnostic fatal est annoncé aux humains que nous sommes le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation. Reste à savoir comment une société se comporte en la matière. Reste à réfléchir, peut-être à agir. Agir, c’est avoir accepté d’entendre, c’est faire le bilan des possibles sans se masquer les impossibles, c’est, prendre l’une des voies ouvertes après le stade d’acceptation laisser-aller, s’y diriger bravement, léguer pour que le témoignage perdure. Ici encore, les exemples historiques ne manquent pas, mais mieux vaut y réfléchir que d’alourdir ce texte. Mieux vaut faire le bilan… sans négliger l’espoir, mais sans s’y accrocher aveuglément. Une conclusion provisoire C’est en ce sens qu’il faut comprendre les départs, les envies de départ, ou au contraire les envies de résistance, d’enracinement, les affirmations, parfois pétries de courage, parfois pures rodomontades. C’est en ce sens qu’il faut revoir les raisons que lancent haut et fort un Depardieu, les alibis financiers d’un Arnault et de tant d’autres intouchables. C’est en ce sens que nous continuerons. *Pierre-François Ghisoni blog est écrivain et éditeur.

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